moka express Je suis un adepte de cette cafetière depuis des années, converti par le prosélytisme d'un couple d'amis italo-hollandais. Pour un bon café maison, rien ne vaut une moka express. Vous savez cette petite cafetière italienne aux belles formes anguleuses et à la taille étroite (elle illustre parfois la bannière de ce blog). Oubliez Georges "what else?" Clooney et ses capsules chics et chères. Très bon marché et d'entretien facile, la moka est le véritable ami du petit déjeuner. En France, le terme moka est avant tout associé à une variété de café assez raffinée qui tire son nom de la ville de Moka (au Yémen), le plus ancien port d'exportation pour le commerce du café. On le confond parfois avec le mélange de café et de cacao, également appelé moka. Mais la moka express est surtout cette fabuleuse cafetière avec une poignée noire (initialement en bakélite) inventée en 1933 par Alfonso Bialetti.

Elle est faite d'aluminium, un métal facile à travailler et symbole de la modernité industrielle de l'entre-deux-guerres. On met des mois à la "culotter" pour lui faire passer son goût métallique, café après café, sans la laver (en tout cas jamais au lave-vaisselle dont les produits vont attaquer les surfaces métalliques) et on n'ose pas la jeter même quand la poignée est cassée. Son principe de fonctionnement est astucieux. Contrairement au café filtre (l'eau bouillante goutte sur la mouture) et au café infusé (les cafetières à piston), ici l'eau chaude est poussée de bas en haut à travers la mouture. La cafetière moka est divisée en trois compartiments (voir le schéma bricolé ci-dessous). On met l'eau froide dans celui du bas et le café au centre. Quand l'eau bout, la pression monte progressivement dans le compartiment du bas et pousse l'eau dans l'entonnoir central vers la mouture.

moka express L'eau circule donc entre deux compartiments à travers la mouture, ce que les physiciens appellent la percolation. C'est un phénomène passionnant qui concerne l'écoulement d'un liquide à travers un substrat poreux ou granulaire, par exemple de l'eau à travers du sable ou du café pour ce qui nous intéresse aujourd'hui. Mais cette notion a été transposée dans beaucoup d'autres domaines. En épidémiologie par exemple : la promiscuité entre les membres d'une population risque-t-elle de favoriser la propagation d'une maladie ? Ou encore en biologie des populations théorique : la fragmentation d'un habitat affecte-t-elle la migration et la viabilité d'une espèce ? Mais revenons à notre percolateur.

bec Bunsen La cafetière au laboratoire. En soi, il n'y a rien de franchement révolutionnaire dans cet article publié par un physicien italien dans The American Journal of Physics, une revue scientifique destinée aux enseignants en physique. Il fait appel à des notions de thermodynamique élémentaire de niveau licence. En condition de laboratoire, il a effectué une série de mesures très précises de température et de pression dans les différents compartiments de cette cafetière. La chaleur était produite par un bec Bunsen bien connu des cours de chimie au lycée.

Quand on regarde l'évolution des températures au cours des expériences de chauffage, on reconnait bien trois phases. Tout d'abord le chauffage de l'eau, lent et régulier jusqu'à atteindre la température de 99,5°C. Puis l'eau se maintient à cette température quand percole rapidement à travers la mouture. Enfin dans la troisième phase, toute l'eau est passée à l'état de vapeur à 150°C. c'est le moment des délicieux gargouillis qui annoncent que le café est prêt.

Petite remarque en passant : cette étude contredit une légende fréquemment colportée à propos de cette cafetière. Ses aficionados vantent le dispositif de chauffage original en compartiment pressurisé en expliquant qu'il permettrait d'atteindre une température largement supérieure à 100°C et donc autoriserait une extraction de la caféine et des arômes encore plus efficace. De manière amusante, les détracteurs à la moka express invoquent eux-aussi cet argument. Au delà de 100°C, les arômes intérieurs du grain et les huiles qui en font le goût spécifique du café sont brûlées ("café bouillu, café foutu"). Mettons tout le monde d'accord, la température dans la moka reste toujours inférieure à 100°C. Ouf !

Rendement. Venons-en au calcul du rendement de cette petite machine à vapeur, ou plus précisément l'efficacité énergétique : on regarde l'énergie qu'on lui fournit (ici sous forme de chaleur) et la quantité de travail utile qu'elle produit (ici faire monter l'eau dans le compartiment du haut). Le rapport entre ces deux quantités est compris entre 0 et 100%. Plus on s'approche d'un rendement de 100%, moins il y a de perte d'énergie (même si la seconde loi de la thermodynamique nous apprend qu'un tel rendement est inaccessible). Donc plus on améliore l'efficacité énergétique des machines, moins on consomme d'énergie.

Ce rendement est en général très bon : en moyenne 85% pour une éolienne, 40% pour une dynamo de vélo, 30% pour un four à bois, 80% pour un four industriel, entre 15 et 55% pour un moteur diesel, autour de 15% pour une ampoule électrique à incandescence mais près de 95% pour une luciole qui produit de la lumière par bioluminescence à partir de l'énergie chimique. Des rendements très variables donc, mais toujours d'au moins plusieurs pourcents.

Et à ce petit jeu, notre cafetière au look de Spoutnik est sacrément à la traine avec un rendement lamentable de 0,02%, 2 pour 10 000 ! Je ne sais pas pourquoi, mais à une époque où on nous saoule de productivités forcenées, ce résultat ne fait qu'augmenter mon affection pour elle ! Que voulez-vous j'aime les cancres, ceux qui profitent grassement de la douce chaleur du radiateur et n'en foutent pas une en retour. Son rendement pour faire monter le café d'un étage est minable ? Peu m'importe, tant que le café est bon ! Et comme il l'est, j'y reviens toujours.

peb et fox