Ca faisait un moment que nous réfléchissions avec Peb et Fox à un billet sur les croyances liées à l'influence de la lune. J'avais commencé à rassembler un ensemble de publications scientifiques sur le sujet. Mais nous nous sommes rendus compte que le sujet avait déjà été très bien traité à de nombreuses reprises. Plusieurs sites web résument ces travaux scientifiques de manière quasiment exhaustive. Si vous lisez l'anglais, le mieux est de se reporter directement aux publications scientifiques qui ont testé rigoureusement la validité de ces croyances. Cette page liste plusieurs dizaines d'études classées par thématiques et en donne les références précises. Mais je vous recommande aussi cette excellente page (le reste du site sur les charlatanismes et les impostures intellectuelles est lui aussi remarquable).

La question est donc clairement tranchée. Pour résumer les conclusions de ces nombreux travaux scientifiques :

  • Comportement. il n'y a pas d'influence de la lune sur la fréquence des agressions, comportements violents en hôpital psychiatrique ou en prison, suicides, accidents en tous genres, crises d'épilepsie ou de somnambulisme. Et ceux-ci ne sont certainement pas plus nombreux les soirs de pleine lune.
  • Natalité. Le rythme des règles chez la femme, la fertilité, les grossesses et les accouchements ne sont absolument pas liés aux phases de la lune (c'est d'autant plus incroyable de constater à quel point cette croyance est répandue alors qu'il est si facile de regarder les statistiques des naissances pour se convaincre qu'elle est fausse). Bien entendu la lune n'influence pas non plus le sexe des bébés ou la montée de lait chez les femmes qui allaitent.
  • Croissance. L'attraction de la lune montante ne favorise ni la pousse des cheveux ou des ongles ni la montée de sève dans les plantes. Pas plus que la lune descendante n'affecte le dépôt des tanins dans le vin.

A défaut de faire un billet sur les effets de la lune en tant que tel, je me suis amusé à utiliser cet exemple pour décortiquer certaines raisons qui expliquent le succès des croyances populaires, les fameux "mais nos grands-mères savaient bien que…", "les anciens le disaient bien…". C'est un peu mon cheval de bataille favori : non, nos grands-mères n'ont pas toujours raison ! Loin s'en faut (voir par exemple ce billet sur l'effet de la bière sur l'allaitement).

Le "bon" sens populaire

Derrière les croyances populaires, il y a souvent des observations intéressantes avec un grand fond de vérité. Et c'est justement elles qui entretiennent la confusion en masquant les erreurs et les graves imprécisions. Par exemple, il est vrai que le cycle lunaire (29,5 jours) et le cycle hormonal chez la femme (28 jours en moyenne) ont "grossièrement" la même période. Il est entendu que les règles se répètent approximativement chaque mois (d'où l'étymologie du mot menstrues, du latin "menstruus", mensuel). Mais d'une part, la vague corrélation avec la durée d'un cycle lunaire est donc trop imprécise pour y voir un quelconque lien de cause à effet et d'autres part il y a une très grande variabilité en fonction des femmes. Dans certains cas l'intervalle entre les règles peut aller de 21 à 35 jours. Rien à voir avec la lune donc. Sans compter que si les femmes se calaient sur les phases de la lune, elles devraient toutes ovuler à la même période, ce qui, bien sûr, n'est pas du tout le cas.

lune Un autre argument souvent invoqué est l'indéniable effet gravitationnel de la lune sur les océans. Depuis Newton on sait que les masses s'attirent entre elles. C'est ce qui explique les milliards de tonnes d'eau déplacées chaque jour. Or les êtres vivants sont majoritairement constitués d'eau (l'eau représente 65% du poids d'un adulte). Donc la lune devrait agir sur la circulation de sève dans les plantes ou sur les flux sanguins dans notre corps. Ce qui se résume par un proverbe du type : "à la lune montante, la sève monte et les fruits sont plus juteux". Logique mais complètement faux d'un point de vue physique !

Méconnaissance des règles physiques

La gravitation explique l'attraction mutuelle entre deux corps ayant chacun une masse. Les équations qui décrivent cette interaction sont simples et sont étudiées au lycée. Sans entrer dans les détails, plus les deux corps sont éloignés, plus la force de gravitation est faible. Et plus le produit des deux masses est important, plus la force gravitationnelle est importante. C'est une des raisons pour lesquelles il y a des marées plus importantes dans l'océan atlantique qu'en mer méditerranée. L'océan a une masse plus importante que la mer méditerranée : il subit donc une force gravitationnelle plus grande. Soit, et alors ?

Et bien si on conduit les mêmes calculs pour voir quelle force gravitationnelle exerce réellement la lune sur notre corps, les chiffres sont ahurissants. Une mère qui berce son bébé exerce sur lui une force gravitationnelle douze millions de fois plus grande que la lune ! Un moustique posé sur votre bras exerce une force de gravitation plus importante que la lune ! Autant dire que cette force est largement insuffisante pour déclencher des accouchements ou pour faciliter la montée de sève dans les plantes.

Biais psychologique

Une constante de ce type de légendes est liée à un biais psychologique. Nous avons inconsciemment tendance à retenir les faits qui accréditent nos croyances plutôt que les autres. Le témoignage humain est peu fiable et nos impressions sont fausses, elles ne résistent pas à une quantification.

lycanthrope Si vous me dites, "en général, je dors moins bien les soirs de pleine lune, la preuve la semaine dernière c'était la pleine lune et j'ai passé une sale nuit". Mais si vous dormez mal une nuit qui ne correspond pas à la pleine lune, vous négligerez cette observation. Pourtant il existe un moyen très simple de vous convaincre que vous n'êtes pas lycanthrope. Notez sur un calendrier, aussi objectivement que possible, les nuits au sommeil agité. Vous verrez qu'elles ne sont pas corrélées au cycle lunaire.

De même certains obstétriciens ou sages femmes ont l'impression que la lune peut jouer un rôle sur les accouchements : si une nuit est bien "chargée" dans leur service et qu'elle tombe par chance un soir de pleine lune, on a tendance à ne retenir que ce fait ! Mais il ne résiste pas à la quantification objective : quand on regarde la répartition des naissances sur une année, on se rend compte qu'elles n'ont rien à voir avec la lune.

La prophétie qui se réalise

lune Un bémol toutefois. Il arrive malgré tout que la pleine lune puisse malgré tout modifier nos comportements, en cas d'auto-persuasion de notre part. Si nous sommes convaincus d'une légende et que nous croyons par exemple que la lune agit sur notre nervosité, à force de craindre et d'anticiper cette nervosité, elle finit par se réaliser.

Les mythes sont indéboulonnables

Encore un dernier point commun. Ces croyances sont très difficiles à remettre en question parce qu'il est impossible de prouver que quelque chose n'existe pas. Certains pensent d'ailleurs pouvoir s'engouffrer dans la brèche et utilisent un argumentaire fallacieux. Pensez par exemple à l'argument rhétorique très souvent utilisé : "vous prétendez que Dieu n'existe pas ? Alors, prouvez-le ! Si vous n'y arrivez pas, c'est que Dieu existe". Le mieux que nous pouvons répondre à cette erreur logique est qu'il n'y a aucune preuve en faveur de l'existence de Dieu. On peut trouver une explication rationnelle pour la plupart des phénomènes physiques ou biologiques observés. En conséquence, je n'ai pas besoin d'invoquer l'hypothèse d'une force super-naturelle. C'est ce que l'on appelle le principe de parcimonie.

Dans le cas de l'influence de la lune on ne peut pas réellement prouver l'absence d'effet. Tout au plus, on peut montrer que, dans le cadre précis des études réalisées, il n'y a pas de lien statistique entre les phases de la lune et des mesures ou observations expérimentales. En ce qui me concerne, ça me suffit amplement ! Si vous, vous croyez qu'il y a plus de naissance les jours de pleine lune, à vous de me le prouver. Bon courage !


Le philosophe Theodor Adorno[1] estimait que « le penchant pour l’occultisme est un symptôme de régression de la conscience ». Au contraire, certains pourraient trouver regrettable que ce type d'études rationnelles vide notre monde de sa poésie et de sa magie. Pour ma part, je pense que plus notre connaissance de l'univers progresse (sans mysticisme ni superstition), plus la fascination qu'il exerce sur nous grandit. C'est véritablement un ré-enchantement du monde !

Notes

[1] Theodor Wiesengrund-Adorno, Minima Moralia. Réflexions sur la vie mutilée, Payot, coll. « Petite bibliothèque », Paris, 2003