cafeine Si, comme moi vous êtes amateur de café, vous le savez bien : la caféine est une molécule merveilleuse, très active sur notre organisme. Elle stimule le système nerveux central, le cœur et les vaisseaux. Elle a aussi un léger effet diurétique (elle stimule les reins et augmente la production d’urine) et elle facilite la digestion et le transit intestinal. Elle améliore la concentration et la vigilance. Elle peut aussi vous exciter en favorisant nervosité et anxiété. Cependant, vous vous doutez bien que le café n’est pas le remède miracle qui soigne tous les symptômes de la gueule de bois (langue pâteuse, maux de tête, nausée, teint jaune, etc.) pas plus qu’il n'est un remède contre la variole et la rougeole (comme on le pensait au IXe siècle ) ou les cors aux pieds et les ongles incarnés…

buveuse de café Pourtant la caféine a bel et bien un effet positif sur vos lendemains de soirée arrosée. Ce n’est pas une nouveauté en soi : les médecins constatent depuis longtemps que le café réduit le risque de pancréatite (inflammation parfois très douloureuse du pancréas) d’origine alcoolique. Mais jusqu'à présent on ne savait pas pourquoi ! C’est là la grande nouveauté des travaux d’une équipe de physiologistes anglais. On commence à mieux comprendre le mécanisme d’action de la caféine au niveau des cellules du pancréas. Et derrière cette synthèse, se cache tout un puzzle d'autres découvertes passionnantes qui finissent par former une histoire cohérente. Petite présentation des protagonistes :

pancréas, mon ami

pancreas Le pancréas est un organe situé dans votre abdomen, derrière l’estomac, un peu au-dessus des reins. C’est la deuxième plus grosse glande de votre corps après le foie. Cet organe est extrêmement important pour deux raisons. Il a tout d’abord une fonction endocrine : c’est lui qui sécrète le glucagon et l’insuline, deux hormones essentielles à la régulation de la glycémie et bien connues des diabétiques. Mais ce ne sont pas ces hormones qui nous intéressent aujourd'hui.

Le pancréas a aussi une fonction exocrine : il est relié au tube digestif par un étroit conduit (le canal de Wirsung) au travers duquel il sécrète des enzymes digestives, ou plus précisément des précurseurs d’enzymes digestives (trypsine, chymotrypsine, lipase pancréatique et amylase). Ces enzymes digestives ont pour fonction de dégrader les protéines et les graisses des aliments contenues dans notre tube digestif (souvenez vous de la lessive aux enzymes gloutons). Or, les cellules du pancréas sont, elles aussi, constituées de protéines et de membranes lipidiques. C’est pourquoi il est important que notre pancréas synthétise uniquement des pré-enzymes inactives pour éviter une auto-digestion dramatique qui conduirait à une pancréatite ! pancreas Heureusement, en temps normal ces précurseurs d’enzymes ne sont activés qu’une fois dans le tube digestif, quand elles sont mis en présence d’autres enzymes contenues dans le mucus intestinal. Il existe pourtant une maladie génétique qui affecte le codage de ces enzymes, celles-ci sont activées trop tôt. Elles s'attaquent alors au pancréas et provoquent des pancréatites héréditaires.

Nous avons donc affaire à un organe très complexe. En raison de la forte concentration en enzymes, le pancréas est extrêmement fragile et toujours délicat à opérer.

calcium : et les shaddocks pompaient

Vous le savez, le calcium est, avec le magnésium, un des nutriments essentiels à la santé de vos os et de vos dents. Mais il joue d'autres rôles largement aussi importants. Il permet la contraction des cellules musculaires et intervient dans la coagulation sanguine et le fonctionnement de la thyroïde. Il limite l'excès d'acidité dans le sang. En outre, comme nous le verrons, il permet l'activation de certaines enzymes digestives.

Enfin, il joue un rôle de signal cellulaire. C'est lui, par exemple, qui contribue à la transmission des signaux dans les cellules nerveuses. Les ions calcium Ca²+ intracellulaires assurent la régulation de nombreuses fonctions et sont essentiels au bon fonctionnement de vos cellules. canal calcique En temps normal, les cellules stockent le calcium dans une de leur structure interne (appelée réticulum endoplasmique). Ce transport est un processus qui nécessite de l'énergie : les ions Ca²+ intracellulaires sont pompés à travers les différentes membranes cellulaires par des systèmes de transport spécifiques (les canaux à calcium, ou canaux calciques) qui peuvent être inhibés ou activés, par certains médicaments par exemple.

En cas de besoin, la cellule mobilise ce calcium stocké. La brusque modification de la concentration en calcium dans la cellule entraîne alors une modification temporaire de la perméabilité membranaire. Et c'est justement le calcium qui déclenche la sécrétion des enzymes digestives par les cellules du pancréas.

la cuite du samedi soir

Récemment, plusieurs découvertes majeures ont été faites concernant la pancréatite. En 2004, des chercheurs australiens ont publié un article important dans lequel ils démontraient la toxicité indirecte de l'alcool sur les cellules pancréatiques ou plus précisément la toxicité des métabolites résultants de la dégradation de l'éthanol. En effet, quand notre organisme commence à digérer l'alcool contenu dans le sang, il le métabolise sous forme d'acides gras. Or, ces acides gras perturbent les canaux calciques évoqués plus haut. On touche ici à des cascades d'activation de protéines de membranes extrêmement complexes. Ce Lego cellulaire est réellement passionnant à décortiquer (oubliez vos meilleurs polars) mais nous entraînerait un peu trop loin. Pour ceux que cela intéresse, je vous renvoie à ce nouveau papier publié cette année par une équipe anglaise.

Pour résumer, en présence des métabolites issus de la dégradation de l'alcool, les cellules pancréatiques libèrent beaucoup plus de calcium qu’elles ne devraient. Et c’est là que les choses se gâtent pour votre pancréas. Cet excès de calcium endommage les mitochondries, ces petites structures qui jouent un rôle primordial dans la production de l'énergie nécessaire à la cellule. Sans cette énergie, la cellule n'arrive plus à contrôler la concentration en calcium qui ne peut qu'augmenter : les robinets sont ouverts et les dégâts sont alors irréversibles. Mais le pire reste à venir.

En 2000, des chercheurs du même labo anglais ont montré qu'une concentration importante en calcium dans la cellule pancréatique entraîne une activation de la trypsine, une des enzymes digestives dont je parlais plus haut et qui est normalement maintenu dans un état inactif. La cellule commence alors à se digérer de l'intérieur. Et vous souffrez d'importantes douleurs abdominales. C'est la pancréatite aiguë : le pancréas est en train de se digérer lui-même ! Une conséquence franchement inattendue de votre excès de boisson…

le petit noir

café Et c'est là que le café arrive pour vous sauver. La même équipe de chercheurs anglais vient de prouver que la caféine a la propriété étonnante de fermer partiellement les canaux à calcium dont nous parlions (cf. leur article original), et donc de limiter les risques de pancréatite les lendemains de soirée éthylique. Ah, le merveilleux breuvage !

Une remarque toutefois, la caféine diminue effectivement les risques de pancréatites alcooliques, c'est entendu. Mais attention, son action est quand même modérée. Ca ne sert à rien de se gaver de café ! De plus, le café est quand même une boisson dangereuse quand elle est bue en excès. D’où l’intérêt de mieux comprendre l’action de la caféine sur les cellules du pancréas : ça peut être une piste pour de nouveaux médicaments plus ciblés et ayant moins d'effets secondaires. A l'heure actuelle en effet, il n'existe pas de traitement pharmacologique spécifique contre la pancréatite. Pourtant, les enjeux sont considérables : la pancréatite aiguë est fatale dans près de 20% des cas. Et les cas de pancréatites d'origine alcoolique sont en augmentation constante chaque année.

le café au volant

Enfin, une précision importante. A aucun moment, je n’ai écrit que le café aidait à lutter contre les effets directs de l’alcool. Méfions-nous de cette croyance aussi fausse que tenace : il serait judicieux de boire un café avant de prendre la voiture pour rentrer chez soi après s'être pinté la ruche. C’est complètement stupide ! Buvez un café, et vous serez saoul et excité. Passez-vous la tête sous le robinet, et vous serez saoul et trempé. Mais toujours saoul… Le café n’accélère absolument pas le processus de métabolisation de l’alcool. Et la caféine ne masque pas les effets de l’alcool (perte de coordination, etc.) même si elle en donne l’illusion dangereuse (voir cette étude clinique à propos de l’effet trompeur de la caféine sur des patients ayant consommé de l’alcool).

Toujours est-il que contre les excès de calcium, pensez au coup de café à chaque lavage : "les pancréas durent plus longtemps avec calgon !"