L'harmonisation des unités de mesure était une des demandes les plus fréquentes des cahiers de doléances de 1789. A cette époque les longueurs, les volumes et les poids étaient mesurées avec une très grande diversité d'unités : pied, toise, coudée, pouce, aune, setier, gros, roquille, pinte, boisseau, livre, once, etc. Des mesures de valeurs voisines avaient des appellations différentes selon les provinces, voire selon les villes ou les villages d'une même région. A l'inverse, les étalons de mesures de même nom différaient selon les lieux, et aussi selon la corporation intéressée ou l'objet mesuré. Enfin, les échelles de multiples et sous-multiples étaient difficiles à manipuler.

Système duodécimale. Prenons le cas du pied divisé en 12 pouces. Cette subdivision à un énorme intérêt. On peut facilement diviser une longueur en tiers, quart ou sixième. Mais c'est un vrai casse-tête pour les calculs. Petit jeu : quelle longueur obtient-on si on ajoute 3 pieds 5 pouces à une longueurs de 1 pied 9 pouces. Ce n'est pas intuitif, n'est-ce pas ? (ça fait 5 pieds 2 pouces). Et c'est encore bien pire si on veut multiplier des longueurs.

Nous nous moquons facilement du système impérial toujours en vigueur dans les pays anglo-saxons. C'est vrai qu'il est malcommode pour les calculs. Pourtant ce n'est pas la peine de cherchez bien loin. En France nous utilisons encore une mesure aberrante héritée de l'ancien régime : le temps subdivisé en base 12 (duodécimale) et en base 60 (sexagésimale). Nous avons des journées de 24 heures de 60 minutes de 60 secondes ! Là encore, l'idée d'une subdivision en 60 n'est pas idiote : on peut avoir des moitiés, des quarts, des tiers, des dixièmes d'heures, etc. Mais C'est une horreur si on veut s'en servir : essayez de calculer rapidement la durée d'un trajet en train dont le départ est à 11h27 et l'arrivée à 19h38. C'es pas très pratique. Alors imaginez le calvaire des astronomes…

Système métrique. A la révolution, l'Académie des Sciences a été chargée d'unifier et de rationaliser tout ça. Naturellement, les scientifiques ont opté pour le système décimal qui facilitent tous les calculs arithmétiques. C'est encore celui que nous utilisons aujourd'hui avec les mètres divisés en 100 centimètres (ou les euros divisés en centimes). Alors qu'ils étaient occupés à révolutionner les unités de longueurs, volumes, poids, et monnaies, ils se sont aussi intéressés au temps.

Le temps décimal fut adopté par décret en 1793. La journée est divisée en 10 heures de 100 minutes de 100 secondes. Logique et pratique ! A 10h, il est minuit, et à 5h, il est midi. Des horloges et des montres furent même construites dans ce nouveau système. Mais elles sont aujourd'hui très rares. Et pour cause. Malgré l’opposition de Robespierre, le temps décimal fut abandonné officiellement un an et demi plus tard.

montre decimale Horloges décimale. J'avais entendu parlé des horloges révolutionnaires, mais je n'en avais jamais vu jusqu'à récemment. J'ai eu la joie d'en trouver enfin en visitant le superbe musée du Conservatoire des Arts et Métiers à Paris où sont exposées une dizaine de ces horloges. Depuis j'en ai aussi vu quelques-unes au musée Carnavalet. Fascinant. Mais j'avais un peu de mal à imaginer à quoi ça pouvait ressembler d'utiliser le temps décimal. Je me suis donc amusé à préparer ces horloges en Flash.

L'utilisation de ces pendules demande un peu d'habitude mais on s'y fait très bien même si nos repères sont chamboulés avec des heures telles que 08h73… Ca vous semble curieux, malcommode et complètement inutile. C'est exactement ce que devaient se dire les Français de l'époque à propos du mètre, du litre et du gramme. Comme nous utilisons ces unités depuis notre enfance, elles nous paraissent naturelles. Il en aurait été de même avec une pendule décimale. Et ça aurait été tellement plus pratique.

L'ironie de l'histoire, c'est que cette décimalisation du temps n'a jamais été totalement perdue de vue par les scientifiques. L'idée est revenue sur le tapis quelques années plus tard : la France a fait une seconde tentative d'utilisation en 1897 avec la création de la Commission de décimalisation du temps (dépendante du Bureau des Longitudes). Le mathématicien Henri Poincaré en était le secrétaire. Curieusement, cette commission proposait un système mixte : la journée était divisée en 24 heures de 100 minutes de 100 secondes. Mais ce système n'est pas parvenu à s'imposer. Encore raté !

Et puis surtout, vers la fin du siècle, elle s’impose comme une évidence dans l'industrie. Taylor et son équipe l’adopte car elle facilite le chronométrage. Au XXe siècle, la décimalisation s’impose définitivement pour les nouvelles technologies utilisant une base de temps (ordinateurs, technologies de la communication et de l’information). C'est par exemple le fameux "temps internet". Aujourd’hui, sans le savoir, nous vivons tous dans un temps décimalisé.