Depuis quelques années, la compréhension des mécanismes de l'olfaction est un sujet chaud en recherche scientifique. Ce n'est pas un hasard si le prix Nobel de médecine a été attribué l'année dernière à Richard Axel et Linda Buck, deux spécialistes américain de l'olfaction. Les progrès récents dans ce domaine sont remarquables. Mais avant de répondre à la question de Peb, un petit rappel.

olfaction Le fonctionnement du nez. La narine en elle-même n'est pas capable de sentir. C'est juste l'entrée d'un conduit qui s'enfonce très profondément dans la tête jusqu'à une zone appelée épithélium olfactif située à hauteur des yeux, très riche en terminaisons nerveuses et enrobée de mucus. En passant à proximité de cet épithélium, les molécules olfactives sont captées par le mucus : on parle alors d'adsorption, phénomène par lequel un corps (ici le mucus épithélial) fixe, en les concentrant, les molécules libres ou dissoutes d'un liquide ou d'un gaz (ici l'air) avec lesquels il est en contact. Les vitesses d'adsorption varient beaucoup en fonction des molécules et ça a d'importantes conséquences comme nous allons le voir.

L'importance du flux d'air. Une molécule qui se fixe difficilement sur le mucus sera mal détectée avec un flux d'air rapide et sera mieux perçue si l'air circule lentement. A l'inverse, des molécules qui se fixent très facilement seront bien détectées si le flux est rapide. De manière moins évidente, ces mêmes molécules seront mal perçues si le flux d'air est lent. En effet, elles se fixeront tout de suite et satureront les premiers centimètres de la zone épithéliale sans avoir le temps de bien stimuler toute la surface olfactive. Donc en jouant sur la vitesse de circulation de l'air, on détecte plus ou moins bien certaines molécules !

Deuxième propriété intéressante. A un instant donné, nous utilisons préférentiellement l'une de nos narines. Vous pouvez le vérifier en bouchant l'une puis l'autre et en inspirant. En moyenne, une narine se charge de 80% du flux d'air tandis que l'autre est obstruée par le gonflement du cornet interne. Mais ce qui est encore plus remarquable, c'est que nous en changeons suivant des cycles réguliers de 2 ou 3 heures. Les narines fonctionnent à tour de rôle ! Mais Les raisons de cette oscillation sont mal comprises.

Quand on combine ce résultat avec ce que je décrivais plus haut sur l'importance des flux d'air dans la détection des molécules, on peut penser que nos deux narines perçoivent des odeurs différentes. Et c'est exactement ce qu'à montré Sobel et ses collaborateurs (cf cet article) : vous sous-estimez ou sur-estimez la présence de molécules en fonction de la narine avec laquelle vous la respirez. Quelques heures plus tard, les perceptions sont inversées entre les deux narines. A noter qu'il est possible de compenser un flux faible dans une narine en respirant plus longtemps.

olfaction Sentir en 3D. Pour finir, je voudrais signaler un résultat impressionnant. Nous pouvons deviner l'origine spatiale d'une odeur. Une étude publiée cet été (toujours par l'équipe du Pr. Sobel, de Berkeley en Californie) décortique les mécanismes d'intégration de cette infomation au niveau du cerveau. Pour voir en 3D, notre cerveau utilise les différences de perception entre les deux yeux (les parallaxes). Pour décoder l'origine spatiale d'un son, nous comparons les fréquence sonores enregistrés par chaque oreille. On sait maintenant que le cerveau est aussi capable de comparer et interpréter les infimes différences de perception olfactives entre les deux narines. Nous sentons donc en 3D !

C'est un billet un peu plus long et plus technique que d'habitude (bravo à ceux qui sont arrivé jusqu'au bout !). Mais la question de Peb était passionnante et j'ai pris beaucoup de plaisir à creuser ce problème. Merci à Nux pour son aide précieuse. Je ne sais pas pour vous : personnellement je n'ai pas spécialement envie de travailler sur ces questions, mais ça me fait plaisir de savoir que quelqu'un s'y intéresse.