La raison officielle est que "certains matériaux nécessaires à sa fabrication sont devenus obsolètes". Pas moyen d'en savoir plus. Mais les contraintes économiques et la concurrence du numérique sont sans doute pour beaucoup dans ce choix. Il y a quelques mois la firme américaine avait déjà annoncé l'arrêt de la production de son film emblématique, le célèbre SX-70 - time zero.

Entendons-nous bien. Je ne suis pas un dinosaure réactionnaire. Le numérique est une technologie formidable qui complète à merveille les procédés traditionnels. A de nombreux égards le numérique est bien supérieur aux films argentiques. Mais il ne les remplace pas ! Impossible de retrouver par exemple le velouté de profondeur de champ si sensuel des d'une photo prise au moyen-format ou à la chambre grand-format, même en utilisant un reflex numérique très haut de gamme (et très cher). Et ceci pour une raison physique : les capteurs sont simplement trop petits. Ce n'est pas une histoire de pixel. Ou alors il faut recourir à des trucages besogneux (et souvent laids) sous photoshop.

Et c'est sans doute là tout le paradoxe de la photographie moderne. Les gens s'équipent à grand frais en numérique. Et dans le même temps, on dirait qu'ils n'ont en tête que de rechercher l'apparence de l'argentique. Et je ne parle pas que de ces minables ersatz de noir-et-blanc réalisés avec une simple désaturation sous photoshop (non, le noir et blanc, ce n'est pas ça!). Faites le tour des photoblogs ou des forums photos. Combien de photos numériques avec des fausses marges noires ou des marges baveuses façon polaroid ?

Un exemple parmi d'autres, lu dans les commentaires chez kéa (superbe photoblog mêlant intelligemment numérique et argentique!). Une visiteuse lui demandait : "j'aurais voulu savoir entre autre pour cette photo là, le matériel que vous avez utilisé et si il y a eu du retouchage avec photoshop ? Comment avez vous reproduit l'effet pellicule ?" Peut-être tout simplement en utilisant une vraie pellicule, non ? Alors, on en est là ?! J'ai un beau jouet numérique mais j'aimerais que ça ressemble à de l'argentique, à l'ancienne. Une manière de donner une légitimité à une technique très impersonnelle. Le supplement d'âme de l'argentique.

lac Bien sur on va dire que la photographie argentique coûte cher. Mais avec mes vieux appareils argentiques qui ne m'ont parfois coûté que quelques dizaines d'euros, je n'ai pas besoin d'investir dans des batteries, des cartes mémoires, un ordinateur puissant, ou des licences pour des logiciels de retouche d'image hors de prix. Au laboratoire, je choisis longuement les photos que je vais tirer à la main. Chacun des tirages que je réalise est unique. Et à mes yeux, la meilleur des imprimantes photo ne rivalise pas avec la richesse des gris et la profondeur des noirs sur un tirage baryté.

On me répond aussi qu'en argentique on ne peut pas "expérimenter" (comme disent les jeunes photographes numériques). Il n'y a pas d'option de visualisation et pas de corbeille pour les images ratées. C'est bien un argument de publicitaires ! Nos disques durs regorgent de ces photos ratées, parce que déclenchées un peu au hasard, sans avoir vraiment pris le temps de penser le cadrage ou l'exposition. Franchement, croyez-vous vraiment que l'on fait de meilleurs photos en shootant au pif ? Moi pas.

La photographie argentique est une technique, certes exigeante, mais toujours stimulante. En me mettant au moyen-format polaroid, j'avais découvert la lenteur : tourner longuement autour d'un sujet pour finalement ne pas prendre de photo. Et quand finalement je déclenche, la photo correspond vraiment à ce que j'avais en tête. Je prends beaucoup moins de photos mais j'ai aussi bien moins de déchets.

Alors oui, la fin du 665 (et la mort imminente de l'argentique) m'attriste profondément et me laisse orphelin. Bien sûr, j'ai fait des stocks, mais les films polaroid ne se conservent qu'au frigo et quelques mois à peine. Je ne vais pas faire ici un combat d'arrière-garde, et je finirai bien par passer au numérique. Mais je regretterai longtemps mes amours perdues…

(Pour voir des photographes travaillant en 665 : Sarah moon, Pierre Hebert, Olivier Rateau)



Ajout du 26 mars 2006 : une pétition a été lancée pour insister auprès de Polaroid sur l'importance de conserver le 665. Si vous vous sentez concernés par la fin de ce beau film en particulier, ou par la disparition des techniques argentiques en général, n'hésitez pas à la signer. Comme l'explique François Besson, les entreprises concernées ne sont pas des mécènes - mais elles tiennent à leur image – ce qui nous laisse une possibilité d’agir… ne nous en privons pas !